24 juin 2023, dans une chambre d'hôtel de Dieulouard, Tom Wallace, un petit black de 39 ans, en forme olympique, s'entraîne au shadowboxing. Allongé sur un lit juste à côté de lui, Dom Pao, un grand black costaud de 42 ans, chill sur son téléphone. Ils attendent patiemment l'arrivée de la soirée. Ce soir sonnera le retour du Cyborg sur un ring de Muay Thaï, après 4 ans d’absence, principalement dues à la pandémie de Covid-19.

10 ans plus tôt, Dom découvre Wallace sur Canal+ alors qu'il perdait un combat. Impressionné malgré tout par sa performance, il détecte son potentiel et veut travailler avec lui. Dom est sparring partner, sa vie, c'est de prendre des coups pour faire progresser les champions. Un soir, au détour d'une salle de boxe lyonnaise, Wallace se pointe presque par hasard, et ils font connaissance. Coïncidence ou destin ? En tout cas, le courant passe bien et ils se donnent rendez-vous pour un premier entraînement.

À cette période-là, Wallace a déjà débuté sa carrière de boxeur à l’international et Dom, pour le moment, n'est qu'une sollicitation de plus. Alors il va le tester et voir ce qu'il a dans le ventre. Entraînements de nuit, sous la pluie, sous la neige : Dom est présent et il en veut. Wallace le guide, Dom s'adapte et encaisse. C'est le début d'une très grande amitié, d'une fraternité.

Ensemble, pendant 10 ans, ils vont faire le tour du monde : Thaïlande, Japon, Algérie, Russie, Île de la Réunion, Italie, Suisse, etc. Ce duo est irrésistible.

Le style de Wallace est aérien tout en ayant une force brute. Son score parle pour lui : 45 victoires, 23 par KO. Cette capacité de gagner par KO n'est pas le fruit du hasard : c'est dû à des heures et des heures d’entraînement. La force brute ne sert à rien si le coup ne touche pas. Alors Wallace s'entraîne avec Dom, toujours plus et dès que c'est possible. Tous les deux doivent littéralement se sacrifier au quotidien pour se maintenir au plus haut niveau. Ce sacrifice, bien que noble, est problématique pour leurs proches. En France, c'est très compliqué de vivre de la boxe : les soutiens financiers sont rares et les opportunités de combats difficiles à trouver. Alors ils doivent jongler entre leur job, leur vie de famille et les entraînements tard le soir. Pas facile de trouver l'équilibre. Ce sont de véritables guerriers, ils n'ont jamais abandonné, même dans les moments les plus insoutenables que la vie peut leur faire subir.

Wallace est en froid depuis de nombreuses années avec son père camerounais. Leur relation est au point mort. En 2018, inspiré par un champion de basket vivant la même situation que lui, Wallace décide de se réconcillier avec son père. Et encore une fois, coïncidence ou destin : une opportunité pour un titre mondial lui est proposée en même temps. Le combat doit se dérouler à Alger et Wallace se dit que les planètes s’alignent. Il profitera de sa venue en Afrique pour aller voir son père au Cameroun, et si Dieu le veut, avec la ceinture. Malheureusement, son père tombe gravement malade et meurt avant que Wallace n'ait pu venir. Le monde de Wallace s'écroule : il vient de perdre son père et il n'a pas réussi à recoller les morceaux. La boxe n'existe plus non plus. Quel est l'intérêt ? Une semaine après, Wallace monte sur le ring à Alger. Il est là pour son père, il est là pour gagner. Il va lui ramener cette ceinture coûte que coûte.

Dom a bien sûr accompagné Wallace sur ce combat. Il est le témoin privilégié du comportement d'un grand champion. D'une personne capable de faire le vide absolu et de se concentrer sur une, et une seule chose : frapper fort et gagner. Wallace gagne ce combat, par KO au deuxième round. Il a prouvé au monde le grand champion qu'il est. Quelques années plus tard, il a tenu sa promesse : il est sur la tombe de son père, ceinture sur l'épaule. Dom, quant à lui, est plus confiant que jamais : il sait qu'il a misé sa vie sur la bonne personne.

Retour en juin 2023, Wallace et Dom sont dans le "labo", la salle d'entraînement personnelle de Wallace, qui lui sert également de musée. Il y expose ses trophées, ses posters et photos souvenirs et son équipement fétiche. C'est la veille du fameux combat signant son retour. Ils s'entraînent ensemble à fond et sans retenue. Après la sueur et un bon shot d'endorphine, Wallace fait le tour de ses posters, se remémorant avec humour certaines de ses folles aventures. Il s'arrête devant une photo, il est excité et ému à la fois. Dessus, on le voit debout sur un ring, derrière lui, un homme au sol semble KO. C'est la photo prise juste après son haut fait le plus impressionnant et le plus rocambolesque de sa carrière.

Lyon, 15 juin 2015, Wallace affronte Yannick Reine. En France, c'est le champion du moment. Il est sur une série de victoires impressionnantes et, sur le ring, c'est un "Artiste". Long et élancé, son style est très technique. Il est un peu l'opposé de Wallace. À domicile, briller ce soir-là est indispensable pour Wallace, car gagner à Lyon signifie aussi pour lui plus de travail en tant que coach. Alors, quand l'évènement était encore à l'étape de brouillon, il essaye de s’arranger avec l'organisateur pour lui trouver quelqu'un de "prenable". Mauvaise pioche : Reine est une pointure. L'opportunité reste belle, et il accepte le challenge. Les règles sont fixées en amont et sont acceptées par les deux parties : ce sera un combat de Muay Thaï, mais sans coude. Dom et Wallace s'entraînent dans ce sens pendant plusieurs semaines. Mais, dans les vestiaires et à une dizaine de minutes de monter sur le ring, l'organisateur de la soirée, donne des coudières à Wallace. Ce soir, les coups de coude sont autorisés. Stupéfaction dans le camp du Cyborg, d'autant plus qu'en face Reine s'est pointé avec une grosse équipe de tournage. Ça sent l'arnaque. D'un simple regard, Wallace et Dom se comprennent : soit ils foutent le bordel, soit ils vont faire le travail.

Le premier round est compliqué pour Wallace. Son adversaire est bon, et Wallace n'y arrive pas. De retour dans son coin, il fait le vide. Il est chez lui : ce soir, c'est la guerre. Il y retourne, plus chaud que jamais, et petit à petit, il retourne la situation à son avantage. Tout à coup, il entend crier dans son coin : "Le coude, n'oublie pas le coude !" Et là, c'est la révélation : il a le droit d'utiliser les coudes ce soir. Ni une, ni deux, Wallace s’exécute et délivre un coup de coude retourné d'une violence inouïe. Yannick Reine tombe, il est KO. La salle exulte. La tension retombe. Wallace, sans le savoir, vient de signer un KO légendaire. Il sera primé KO de l'année 2015 et, en 2024, il reçoit le prix du KO Historique de la Muay Thaï Authority. Un trophée qu'il va placer fièrement dans sa vitrine, aux côtés de Svetlana, Héléna, Marie-Claire, Josianne et Odette, ses ceintures de champion.

Dom, quant à lui, se sent très fier. Chacune de leurs opportunités est toujours tombée à la dernière minute, ils n'ont jamais été facilités, le soutien des proches est rare, et pourtant, ils n'ont rien lâché. Ce soir encore, ils prouvent que, c'est peut-être une histoire de foi, de karma, peu importe comment on le nomme, ils ont remis les pendules à l'heure.

Retour aux vestiaires de Dieulouard. Ce soir, vont-ils de nouveaux réussir à remettre les pendules à l’heure ? Le combat de Wallace est dans moins d'une heure. Il est tard, le reste du vestiaire est maintenant vide : Wallace est la tête d'affiche ce soir. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Ils commencent par un massage aux huiles thaïes très tonique, prodigué avec une grande expertise par Dom. Puis place aux étirements des jambes. La tension monte d'un cran. Le regard de Wallace change petit à petit. Maintenant équipé de ses gants, Wallace a besoin de cogner pour se chauffer. Dom s'équipe lui de ses Paos. Ils se lancent dans un échange brutal et rigoureux. Les coups sont violents et résonnent fort. Wallace monte en intensité, Dom encaisse sans broncher. La tension est à son comble. Il ne reste plus que quelques minutes avant d'y aller. Le regard de Wallace a encore évolué : il est dur et froid, il a le regard d'un tueur. Sa métamorphose est maintenant complète.

Dom récupère un drapeau du Cameroun et le place sur le crâne de Wallace. Il est fier de porter le drapeau de ses origines. Dom dépose ensuite délicatement un Mongkon (bandeau sacré) sur la tête de Wallace, pour à la fois maintenir le drapeau en place et, bien entendu, respecter cette tradition ancestrale du Muay Thaï. Il est l'heure. Dom murmure quelques derniers mots d'encouragement à Wallace, puis ils se dirigent vers le ring. Wallace entre en scène en proposant sa classique entrée robotique.

Le combat commence. L'adversaire du soir est Brian Lang. Il est loin d'être un amateur et il est à domicile. Les coups pleuvent. Wallace est un peu en difficulté. La reprise est plus compliquée que prévu. Dom le soutient et le conseille depuis son coin, Wallace ne se protège pas assez. Les rounds s’enchaînent rapidement, Wallace assure une belle prestation et le combat arrive à son terme. Wallace est debout, toujours en pleine forme, mais il a perdu.

Wallace retrouve Dom, direction les vestiaires. Sur le chemin, tout le monde félicite Wallace pour sa performance. Tout le monde sait qu'il est un grand champion. Enlacés, ils traversent la salle. Dom dépose un baiser fraternel sur le crâne de son ami.